Une nuit chez elle

 

Malgré l’obscurité je pouvais voir le contour de sa tête, ses longs cheveux en bataille qui lui tombaient sur le dos. Parfois elle me frôlait, du bout des pieds, sans le faire exprès. Je n’arrivais pas à regarder autre chose qu’elle, me tournant le dos, je n’entendais rien à part sa respiration, cette petite musique m’apaisait. J’avais envie de lui parler mais j’avais peur de la réveiller, dormait-elle vraiment ? J’ai toujours aimé discuter dans l’obscurité, parler tout doucement, chuchoter comme pour que les mots restent entre les draps. Se dire des choses sans se voir, sans voir la réaction de l’autre. Parler comme les autres dorment. Parler de ciel bleu en regardant le blanc du plafond, parler du froid enfoui sous les couvertures, parler d’amour puis se dire ‘bonne nuit à demain’ & s’endormir avec dans la tête les derniers mots prononcés qui tournent en spirale. Parler encore alors que l’autre c’est déjà endormit. Parfois les mots dépassent ce que l’on voulait dire, ce que l’on voulait garder pour soi —La nuit est propice au confidence. mais l’autre fait comme si elle n’avait rien entendu, comme si la nuit avait avaler les mots. La nuit comme garante du secret. Mais ce soir là elle dormait, j’étais là sous les draps, sous ses draps, à me parler seul, à me raconter des histoires, à la regarder. Je distinguais clairement son épaule qui dépassait des draps, son cou dissimulé entre ses cheveux. Je fermais les yeux & m’imaginais son visage, ses yeux fermés, sa bouche entre ouverte, ses narines bougeant au rythme de sa respiration, ses bras repliés, ses mains posées le traversin, tout son corps détendu plongé dans un calme sommeil. Parfois un petit murmure se mêlait à son souffle. Peut-être un rêve, de quoi rêve-t-elle, à qui peut-elle parler ? J’aimerais bien le savoir, avoir une caméra à rêve & garder sur pellicule les plus beaux, pour les revoir de temps en temps. Pour savoir de quoi sont peuplées ses nuits, de quels paysages, de quelles couleurs, de quelles histoires ? Parfois quelques doux mouvements changeaient la position de son corps. J’entendis une voiture passée, la lumière jaune de ses phares parcoururent les murs de la chambre & jouaient avec les ombres des quelques objets restés sur la table. J’aurais aimé ne pas dormir de la nuit pour pouvoir la voir se réveiller, voir ses yeux s’entrouvrir, éblouis par le soleil matinal, voir son corps doucement s’animer, voir la main qu’elle passerait dans ses cheveux pour qu’ils ne tombent plus dans ses yeux. La voir s’étirer, bailler, se gratter l’épaule puis s’asseoir, la regarder regarder autour d’elle, croiser son regard, lui sourire, lui dire bonjour, lui demander si elle a bien dormi, lui demander quel était la couleur de ses rêves… Entendre ces premiers mots, voir son premier sourire. Mais la nuit était encore longue & mes yeux se fermer malgré moi. Je me sentais partir dans le sommeil, j’ouvris encore une fois les yeux pour me souvenir dans mes rêves de son corps étendu près du mien. Mes yeux se fermèrent pour de bon cette fois, je plongeais sans retenu dans un sommeil profond. Je ne me souviens pas de mes rêves de cette nuit là, mais je suis sûr qu’ils étaient pleins de douceur & de quiétude comme un paradis fait de nuages ouatés en coton hydrophile. Au matin, je fut réveillé par le bruit du café qui coulait, elle s’était levé avant moi. Moi qui voulais la voir ouvrir les yeux. J’entendis l’eau de la douche. Je souris à l’idée que ni l’un ni l’autre nous ne nous avions vus nous réveiller. La veille je l’avais regardé dormir, au matin c’est elle qui avait dû me regarder dormir. A quoi a-t-elle penser en posant ces yeux embrumés sur moi ? Elle avait dû se lever en essayant de ne pas faire de bruit ou le moins possible pour ne pas me réveiller, délicate attention. Puis elle est sans doute allée dans la cuisine pour préparer le café, en me regardant parfois pour voir si je dormais toujours, depuis sa cuisine, si la porte est ouverte, on voit bien la chambre & le lit. Je l’imagine aussi appuyer sur l’encadrement de la porte debout à me regarder, elle est peut-être rester comme ça cinq minutes ou plus, puis elle est aller dans la salle de bain se préparer à affronter un nouveau jour. Je m’étendis dans le lit, prenant toute la place. J’enfouis mon nez dans la trace que sa tête avait laissée dans le traversin. Je respirais profondément pour m’enivrer du parfum de ces cheveux. Mon corps occupait exactement la place qu’elle avait dû quitter quelques minutes avant, je sentais encore sa chaleur. Je fermais les yeux, j’étais bien, prés à replonger dans le sommeil. La douche s’arrêta, elle allait bientôt sortir. Je m’extirpais des draps, me levais. J’enfilais mon jean qui traînait en boule au pied du lit. Le café était terminé, je m’en servis une tasse & lui en préparais une : un sucre & demi, une cuillère. J’allais à la fenêtre en remuant le mien. Dehors il faisait beau, pas un nuage. La journée s’annonçait belle. J’entendis la porte de la salle de bain s’ouvrir, puis quelques pas. Un bruit de cuillère dans une tasse. Je me retournais, elle était là, devant moi. Je lui dis bonjour. Elle me sourit...

Sylvain Barraux