Noel comme un con,
Pâques au pieux

L’ennuie me tuait. Ce n’était pas à proprement parler de l’ennuie, j’ai été assez souvent seul pour ne pas m’ennuyer, c’était plutôt une forme de lassitude, tout me lassait. Juste le silence, ne pas parler, ne pas convaincre, juste écouter le bruit du monde autour. Attendre & voir mais surtout attendre. A cause de cette absence de vie, je n’arrivais plus à me concentré sur quoi que se soit, les films de la télévision, même les vieux films, que je prenais pourtant plaisir à regarder trois fois de suite avant, ne parvenaient pas à susciter en moi quelconque intérêt, je les laissais se terminer sans moi, l’écran de télévision diffusant des images pour un canapé, moi je tournais en rond, regardant parfois à la fenêtre, repassant devant la télévision, jouant avec la télécommande, montant et baisant le son, affinant les contrastes, la luminosité de l’image, prenant le programme tournant les pages cherchant se qu’il avait à cette heure, rien. Au bout d’un moment j’arrêtais le film, éteignais la télévision, rembobinais la cassette, la remettais dans sa boîte, la reposais à côté des autres au dessus de l’armoire. Je reprenais le programme, j’avais déjà oublier ce qu’il y avait à cette heure, rien. Alors je regardais les prévisions pour le lendemain, le sur lendemain, le lendemain du sur lendemain ainsi de suite jusqu’au dernier jour possible. Je passais de long moment assis sur un fauteuil dans un silence de mort, la tête en arrière, une main sous mon pull comme pour tenir chaud à mon bras, le regard sur le plafond, parfois je fermais les yeux, je me sentais fatigué mais je n’avais pas sommeil. Pourtant je dormais peu. Parfois je changeais de position repliant les jambes contre mon torse, en position du fœtus. Je me souviens qu’un fois assis comme ça j’ai eu envie de pleurer, je ne sais pas pourquoi.

Quand j’en avais assez d’être assis sur le fauteuil, je me mettais par terre, sur la moquette, en tailleur tenant simplement le cendrier entre mes jambes. Je ne pouvais le faire que quand ma chambre était rangée. Mais même rangée aux bouts de quelques jours les papiers, les journaux, les paquets de cigarettes vides s’accumulaient, sans que j’y trouve quoi que se soit de déplaisant. Cela donnait de le vie au lieu et comme personne ne venais jamais me voir cela n’avait pas d’importance. Ce n’est que quand il me devenais insupportable de devoir enjambé tout ce bordel pour aller sur mon lit ou quand pris d’un besoin essentiel de faire quelque chose de mon corps que je me décidais de rangé la pièce qui me servait de sanctuaire. Quand je ne pouvais pas m’asseoir par terre, ou quand j’en avais assez, j’allais m’asseoir sur le lit. Je me couchais, les mains derrière la tête toujours fasciné pas mon plafond. Je pouvais rester à ne rien faire pendant des heures. Attendre que ce soit l’heure de quelques choses : de manger, de dormir, d’un truc à la télévision, de la fin du disque.

D’autres fois j’écoutais de la musique à fond, n’importe quoi pourvu que cela s’écoute fort. Je prenais le premier disque qui me tombait sous la main. Souvent dans ces cas là, j’étais debout le livret dans la main gauche, une cigarette dans la main droite , suivant les paroles du coin de l’oeil, parfois je chantais même, histoire de vérifier que j’avais toujours de la voix, à force de se taire on oublie le son de sa propre voix, un peu comme on passe longtemps sans se regarder dans un miroir, l’on  que l’on revoit son image, son reflet on le trouve différent, on avait oublier la petite cicatrise là, juste en dessus de l’oeil celle que l’on ne remarque pas si l’on ne fait pas attention. Je m’arrêtais peu devant les miroirs. Quand je m’y arrêtais plus longtemps c’était pour me raser ou pour me dire que je devrais me raser, que je devrais essayer de m’habiller correctement, mettre une chemise, plutôt que de rester avec ce vieux tee-shirt et ce jean troué, que je devrais mettre des chaussettes, ou au moins me couper les ongles de pieds, que je devrais me coiffer un peu mieux, que je devrais me laver. J’avais le costume du parfait petit exclu, je suis sûr qu’en plus je devais sentir la mort. Je puais la mort, à tout les sens du terme. J’avais autant de volonté qu’un cadavre, et j’en m’en rapprochais physiquement, le regard vitreux et vide, le teint défait, blanchâtre, Je me faisais penser à l’ermite d’"Ainsi  parlait Zaratoustra". La même déch’, la même précarité volontaire.

De temps en temps le téléphone sonnait, un ami me racontait que lui, à une cinquante de kilomètre d’où j’habitais, tout allait bien, il trouvait du travail, j’étais content pour lui, peut être un peu jaloux qu’il mène une vie que certains qualifieraient de normal, qu’il vive une vie sans moi. Il me racontait ses journées de labeurs, qu’il avait rencontrer des tas de gens très, très intéressants, vraiment, il disait pas ça parce que c’était de filles et qu’elles étaient mignonnes. Quand il me parlait de son nouveau job, j’écoutais évasif saisissant la moindre opportunité pour changer de sujet, par pitié ne pas entendre parler de rapports humains, encore moins avec des filles. Moi, je lui parlais de rien, des micros événements de mes journées : « Aujourd’hui je me suis fait des pâtes, je les ai faites brûler, j’ai pas fait exprès, je pensais à autres choses. Tu sais hier en fin d’après midi il a plu. Il fait froid dehors en se moment ? je te demande ça car je ne sort pas de chez moi alors j’en ai pas la moindre idée ». Une fois raconté mon petit quotidien, on parlait de n’importe quoi, on essayait de se faire rire mutuellement. Ça pouvait durer des heures, seule l’idée de la facture à venir nous retenait de ne pas rester ainsi deux ou trois heures de plus. J’aimais ces discussions, elles me rassuraient, me donnaient une heure d’existence. Même si une fois terminé elles me plongeaient dans une tristesse inexplicable, me rendaient à mon silence, au vide autour de moi. Parfois, je voulais appeler quelques personnes, quelques connaissances, quelques filles à qui je devais la vérité, mais mon manque de discussion de courage me retenait, la peur de n’être pas le bienvenu également. Alors je me contentais de regarder le téléphone en imaginant quel genre de discussion j’aurais pu avoir, ce que j’aurais pu dire. Puis au bout d’un moment me trouvant ridicule d’avoir des discussions imaginaires, je retournais sur mon fauteuil regarder le temps passé et le plafond s’assombrir avec le soleil couchant.

Souvent, il ne me restait que l’imagination pour pouvoir supporté tout ce silence. Imaginer une vie, pas forcément meilleure, pas forcément idyllique mais simplement un petit peu plus rempli de gens, de sentiments, de contacts, d’intérêts, de vies. J’en arrivais même à m’imaginer une vie que je détestais : marié, deux enfants, deux voitures, un chien ou un chat, une maison et une cuisine encastrée dont le crédit n’est pas terminé de payé, les vacances dans la belle famille où en Espagne. Parfois ce type de vie me faisait presque envie, tout, en fait, me faisait envie pour peu que cela brise la monotonie de mon quotidien, le silence, l’absence. Je regardais mon lit en imaginant quelqu’un dedans, quelqu’un partageant mon thé, mes repas, mes lectures, mes commentaires sur ce que je voyais à la télévision, quelqu’un qui me ferait rire. Je me voyais vivre ailleurs, dans d’autres villes, avoir un métier, voir des responsabilités parfois, un vie sexuelle. J’imaginais aussi à quoi ressemblait les lieux que j’avais quitter, comment avaient ils évoluer sans moi. Je ne faisais pas d’illusion je savais très bien que personne n’est irremplaçable, qu’ils n’avaient pas eu de mal à trouver quelqu’un pour prendre ma place, enfin la place que j’occupais. Rien n’est vraiment à soi, nulle part. Sans doute que mon remplaçant était moins bordélique, plus dans la norme, dans le rang, disant ‘oui’ quand il faut, marchant bien au même rythme que les autres ni trop vite ni trop lentement, un mouton de plus dans la bergerie. Moi, je n’ai jamais supporté ni les bêlements, ni les beuglements.

Chaque jour je me disais qu’il serait bien que je sorte un peu, que je prenne l’air, qu’un peu d’exercice ne me ferait pas de mal. J’y pensais, c’est tout, remettant toujours au lendemain la sortie qui devenais pourtant de plus en plus nécessaire. Un jour trouvant que je commençais à prendre du ventre, à cause de tant d’inactivité et des allers-retours répétés au frigidaire, je me décidait à faire vingt abdominaux par jour c'est à dire bloquer mes pieds et essayer de me lever grâce à force de ces fameux abdominaux qui me faisait défaut. J’ai dû réaliser ces exercices correctement deux jours, ensuite je me disais que je les ferai plus tard, que demain j’en ferais quarante au lieu de vingt et que cela ne sert à rien si on ne fait pas de régime adapté, et que de toutes façons j’avais horreur du sport, des exercices physiques et que tempis si je devenais un petit gros, en plus le sport ça rend idiot. Je préférais passer mes journées à ne rien faire, à me morfondre sur mon manque de combativité. Ce n’était même pas un manque d’envie, mais simplement rien, à mes yeux, n’avait d’intérêt. Qu’importe durant deux, trois jours, j’ai eu l’impression d’avoir des choses à faire, un objectif.

Avoir des objectifs immédiats était ma seule capacité. Je ne voyais qu’à court terme, à deux heures, deux jours plus loin maximum et uniquement sur des sujets sans importance : demain midi, je mangerais des raviolis ou peut-être des pommes de terre à la poêle, non il faudra les éplucher pas envie, les raviolis iront très bien, après demain soir je regarderais le film sur la deux qui à l’air bien même si je crois l’avoir déjà vu, ce soir j’essaye de lire un petit peu, un livre que j’ai déjà lu ça sera plus facile à rentrer dedans, ou alors une bd. J’étais incapable de faire ce que l’on appelle des démarches, des recherches. Je ne supportais pas l’idée d’avoir à me vendre, de parler de moi à des inconnus. Pourtant une fois, une seule, j’avais pris ce qui me restait de courage et de volonté pour répondre à une petite annonce parue dans un journal. J’avais pris mon stylo, une feuille, mon style le plus pompeux pour écrire une belle lettre de motivation comme ils le voulaient. Je ne savais pas quoi leur dire, ma motivation était de faire quelque chose, peut être même  de travailler, d’avoir un peu d’argent. J’écrivis des bétise, que j’étais l’homme de la situation qu je savais faire se qu’il demandait et tout ça. Ils ont souhaité me rencontrer afin de mieux me découvrir comme ils me l’écrire. J’ai donc été au rendez vous qu’ils m’avaient fixé. J’ai attendu une heure pour m’entendre dire une fois l’entretien terminé : « Si demain on vous téléphone c’est bon sinon vous recevrez une lettre. On ne peut rien vous dire pour l’instant, vous savez vous êtes soixante candidats et il n’y a que vingt places, il faut voir les autres, voir lesquels correspondent à ce que l’on attend, c’est l’offre et la demande ». Je suis sorti en se disant que cette fois c’est presque sûre, c’est gagner que j’avais été excellent que c’est bon, que  vais enfin faire quelque chose, que j’allais avoir de vrais projets. Et le lendemain, j’ai passé toute la journée l’estomac noué, angoissé les yeux posés constamment sur le téléphone, à fumer clope sur clope, en me disant qu’il est dix sept heure mais que peut être ils ferment leurs bureaux à dix huit heure que ce n’est peut être pas tout à fait perdu, ou qu’ils ont perdu son numéro de téléphone, ou que quand ils disant demain il fallait comprendre dans uun jour proche. Mais finalement je me suis rendu compte que je ne voulais rien de se qu’ils me proposaient, de cette loi du marché, qu’ils cherchent des gens lisses et malléables à merci. Je devinais aisément l’étiquette qu’ils m’avaient collé sur le dos était ‘instable, risqué, inadapté’. Bref je me cherchais des excuses, je me mentais un peu, mais j’étais tout de même déçu. Je les maudissais, les détestais. J’avais envie, si d’aventure nos chemins se croisaient, de leur cracher au visage, de les ruer de coups, de leur dire tout le dégout qu’ils m’inspiraient. Je me demandais pourquoi je ne convenais pas, qu’est ce que j’avais de moins que les autres. Je suis redescendu un peu sur terre, je me sentais moins unique, je se sentais faillible, Je ne trouvais plus d’issue. J’étais en colère contre moi même de ne jamais être à la hauteur pour rien, j’avais envie de tuer le chien.

Je n’avais plus envie de demander quoi que se soit. Je ne voyais pas pourquoi faire, écrire des lettres à des mecs qui s’en foutent qui sont au chaud dans leur bureau, savent-ils seulement lire. Téléphoner pour avoir des renseignements, sur les pièces à fournir, pour s’inscrire ici où là, savoir où ils sont situés par rapport à la gare et à la poste et si ça fait pas trop loin à pied. Mettre trois jours à trouver les feuilles de salaire d‘il y a quatre ans. Aller retirer un dossier, y retourner une seconde fois car la première on est arrivé après les heures d’ouvertures. Faire attention d’arriver entre quatorze et quinze heure car c’est là qu’il y a le moins de monde. Se prendre la tête pour savoir comment remplir le dossier, cherche ce que signifier le langage administratif, se perdre dans les numéros, se tromper, cocher les mauvaises cases. Prendre rendez-vous. Se laver, se coiffer, s’habiller, sortir, se retrouver devant un mec en costard demandant pour la quinzaine fois de la journée, à un type qu’il n’a jamais vu et qu’il ne reverra jamais, quel sont ses objectifs, son projet, ses envies. Ne pas quoi savoir quoi lui répondre, se retenir de lui dire que mon objectif est de me casser d’ici, mon projet de rentrer à la maison et mon envie est un bon boeuf bourguignon comme le faisait ma mère quand j’étais petit. Et puis répondre à des questions complètements idiotes : « Vous êtes près à faire combien de kilomètres pour aller travailler ? vous avez un C.V. ? Vous en êtes content ! Vous est prêt à utiliser votre véhicule personnel pour aller travailler ? Franchement vous êtes pas un peu instable ? Dans un futur proche vous avez un projet de création d’entreprise ? ». Oui, je compte monter une entreprise pour concurrencer Bill Gates, mais ne lui dites pas j’ai peur qu’il me mette des bâtons dans les roues. Finalement s’inventer un projet de pacotille, rentrant dans les cases de l’administration et des entreprises, se mentir, tout faire pour en finir au plus vite, pour retrouver la paix, le silence qui nous semblait pourtant si insupportable devient un rêve. Alors se lever et partir loin de ces gens qui veulent vous aider, vous redonner espoir, vous redonner envie de vous battre, vous réinsérer dans la société comme ils disent, vous faire voire que le bout du tunnel n’est peut être pas si loin si vous y mettez un petit peu de volonté. Je n’avais de volonté pour rien, seul mes paupières et mon estomac me dictaient quoi faire : dormir ou manger avec parfois des conflits d’intérêts avoir faim et sommeil en même temps. Pour le reste je n’avais ni courage ni volonté.

Un soir, un peu avant Noël, j’ai réalisé que cela faisait plusieurs semaines que je n’avais pas mis de nez dehors, alors j’ai attendu que la nuit tombe, que le soleil aille se coucher pour respirer l’air de l’extérieur. C’est toujours dans les dernières heures du jour que je commence à me réveiller, à sortir de ma léthargie. Comme si l’obscurité me faisait ouvrir les yeux, la nuit jamais n’éblouit. Jamais la lumière ne montre les choses crûment, il n’y qu’un voile d’ombre qui joue avec les lieux & les gens, un voile naturel permettant de se dissimuler, de créer des faux semblants, de s’installer dans une quiétude sereine. L’hiver permet une vie de nuit en fin d’après midi. Il développe une pudeur que l’on avait oubliée sur une plage en été en regardant les corps à moitié nus. En hiver la moindre petite parcelle de peau nue attise la curiosité, faisant naître la tendresse, le désir. Plus les femmes sont habillées plus elles multiplient leur potentiel érotique, plus les hommes ont envie de les déshabiller. C’est vers dix sept heure que je suis sorti de ma chambre de séquestré pour prendre l’air. Il ne neigeait plus depuis une petite heure, je crois, il faisait froid, j’avais oublié ce qu’était le froid à force de vivre reclus sous des pulls et des couvertures. Heureusement que j’avais gardé le réflexe de prendre mes gants, mon écharpe et mon bonnet, ce qui fait, qu’à part au visage, je n’avais pas vraiment froid. De ma bouche sortait de la fumée, un mélange de cigarette & de froid. Ma main gauche était gantée & au chaud dans ma manche, ma main droite elle était gelée j’avais retiré le gant pour pouvoir tenir ma cigarette, il sortait donc de mon pull trop grand pour moi, deux petits doigts tremblants tenant une tige fumante qui me réchauffait le corps de l’intérieur.

J’avançais sans but, je respirais ouvrant grand mes poumons aux odeurs oubliées de la ville, j’allais sans savoir exactement où j’allais, une promenade, comme d’autres se promènent le dimanche en foret quand il n’y a rien d’autre à faire, pour sortir de leur quotidien, oublier le bureau, les collègues que l’on déteste qui veulent notre place, le chef que l’on abomine qui nous en demande toujours trop, alors que lui ne fait rien. Voir des arbres pour essayer d’oublier sa vie terne, se faire croire qu’en pleine foret, en pleine campagne on communie avec la nature, on se retrouve alors qu’en vérité on s’ennuie à mourir qu’on trouve le silence pesant, que l’air est irrespirable de pureté, que l’on se dit que pour rentrer on va encore devoir supporter deux heures dans une voiture, qu’avec notre chance il y aura des bouchons, que l’on va encore manquer de début du film à la télé, que demain il faut aller bosser & voir leur tête de demeuré. On a envie d’être déjà en vacances. Quoique en y pensant ça va être Noël, il va falloir encore supporter toute la famille, la grand mère qui radote, les gamins qui courent partout en braillant, le grand père qui n’arrête pas de dire que lui de son temps avec les gosses ça se passait pas comme ça que maintenant plus rien n’est comme dans le temps, les beaux frères qui vont s’engueuler en parlant de politique… Toujours tout supporter et se taire. Il n’y a rien de plus triste & déprimant qu’un dimanche d’hiver, ou quel que soit la saison en fait, à la campagne. Ces dimanches soirs qui sont presque déjà des lundis matins. Moi, je me promenais, entre les réverbères comme d’autres se promènent entre les arbres, simplement, en ne pensant à rien de tout cela, je fixais les pavés humides & glissants en prenant garde de ne pas tomber, c’était là ma seule préoccupation : rester debout, ne pas glisser. Faire attention de ne pas trop marcher dans la neige pour avoir les pieds trempés & attraper la mort.

Parfois je m’arrêtais & regardais dans les vitrines illuminées les décors de Noël, des paquets cadeaux dans de la neige faite de coton hydrophile, les étoiles en papier doré ou argenté, les petites étiquettes indiquant les prix ‘spécial fête’. En rencontrant un Père Noël qui distribuait devant un magasin de jouet, des papillotes aux enfants. Je ne pus m’empêcher de sourire & regretter le temps où j’allais sans honte demander moi aussi des chocolats aux veilles hommes barbus, le temps où je croyais au père Noël où tout était facile. Ce soir là je pris la décision que si en vieillissant je devenais gros, barbu & bedonnant, ce qui ne m’aurait pas étonné puisque j’avais décider d’arrêter le sport, je prendrais l’hiver un emploi à mi-temps de père Noël car c’est un des rares métiers où l’on embauche des gros au dépend des maigres. Les maigres en Calvin Kline les gros en rouge avec des bottes & un bonnet devant les magasins de jouets & de bonbons.

Je poussais la porte d’un bar, c’était plus fort que moi dés que je sortais il fallait que j’entre dans un bar, boire un café, plus rarement un demi. Cela devait être une certaine nostalgie de l’époque où j’y passais des journées entières. Mes plus grand souvenirs du lycée sont des souvenirs de bars, des fous rires entre copains des engueulades des parties de cartes des bouquins et quelques cuites aussi à finir en dansant sur le bar. J’ai toujours fait de grande rencontre autour d’un verre, Je passais des soirées à discuter avec des types que je n’avais jamais vu, on parlait de tout de musique, de politique beaucoup des filles. Je fréquentais toujours le même bar, j’y étais devenu un meuble, le copain du serveur, le chouchou de la patronne. Ce soir là le bar que j’avais choisi n’avais pas d’importance, il devait juste me permettre de retrouver un peu de bruit, de fumée et de boissons. La chaleur qui y régnait fit de la buée sur mes lunettes, je ne voyais plus rien, j’étais moi aussi au chaud, dans du coton. Une fois mes lunettes essuyées avec la manche de mon pull, je découvris un lieu enfumé où l’atmosphère était tranquille grâce à un savant mélange involontaire de discussions feutrées & de musiques à la mode. Je retirais mon pull & m’installa près de la baie vitrée, je commandais un café puis regardais passés dans la rue les rares filles aux jambes dénudés, les gens emmitouflés qui tenaient du bout des doigts un cartable, un parapluie. Je vis des garçons au cheveux longs, des filles aux cheveux courts, des casquettes, des bonnets, des chapeaux. Des lycéens, écouteurs sur les oreilles, remuant la tête au rythme de leur pas. Des petits vieux qui marchaient au ralenti, tremblants, le dos voûté. Certains passants tenaient dans leurs mains des sacs, des paquets que l’on devinait être de futurs cadeaux, peut être pour le petit dernier de la famille, pour les parents, pour des amis, pour la petite ami ou peut être pour soi. C’est toujours dramatique en période de Noël lorsque l’on est seul. Tout ces couples se serrant l’un contre l’autre pour se réchauffer, se demandant ce qu’ils vont s’offrir mutuellement, se qui ferait plaisir, où ils iront : dans la famille à elle ou à lui, peut-être chez des amis qu’ils ont en commun ‘les amis du couple’ laissant les amis de l’un & de l’autre à leur soirées. Tout devient insurmontable quand même pour faire la fête il faut une famille, même le quotidien irrite. Le sourire de la vendeuse demandant : « C’est pour offrir ? » devient insupportable, on a envie de l’étrangler, de lui faire bouffer son papier cadeau & se servir du noeud comme bâillon pour la faire taire, de lui dire : « Non, c’est pour moi, merci de me rappeler que je suis seul au monde !! ». Mais on se retient, & on acquiesce pour faire croire à la vendeuse que l’on a une vie sociale, alors qu’elle n’en a rien à faire en fait. Alors on ressort du magasin avec un paquet cadeau pour personne, ou presque, & quand on rentre chez soi le soir il y a comme un pincement au coeur en ouvrant son paquet. C’est un drôle de sentiment soit une solitude désespérante, soit un plaisir hédoniste. Parfois on hésite même à l’ouvrir, on se dire que, quoi que l’on pense, c’est tout de même un cadeau, qu’il faut un événement, un cérémonial particulier, alors on est tenté d’attendre le soir du réveillon pour l’ouvrir, mais à quoi bon, finalement on déchire avec rage le papier & on le brûle pour effacer toute trace de sa faiblesse, de son manque de lucidité & de franchise. On a presque envie d’aller s’excuser auprès de la vendeuse pour lui avoir fait faire un paquet cadeau pour rien, pour allumer un feu. On voudrait lui dire que l’on est désolé & que la prochaine fois on lui dira que c’est pour soi, que l’on supportera de se sentir seul, même si ce n’est pas toujours très facile.

Soudain dehors derrière la baie vitrée une bruit de frein, un homme a manqué de se faire renverser par une voiture, la conductrice qui a freiné brusquement lui lance des regards assassins, lui le visage blanc, désolé, sous le choc comme si tout c’est arrêté à ce moment précis. Les autres passants le regardent. Mais la vie reprend vite son cour, le passant reprend son chemin, la conductrice enclenche une vitesse et part à vive allure, disparaissant au bout de la rue. Moi, remuant mon café, je pensais à ce que j’aimerais bien recevoir pour Noël, j’essayais d’associer chaque personne que je connaissais avec un cadeau à leur offrir et un que j’aimerais qu’il m’offre. J’ai toujours été nul pour faire des cadeaux, je tombe toujours à côté, je me souviens d’une fois, pour l’anniversaire de je ne sais plus qui je lui avais offert un truc pour sa voiture alors que deux jours avant il l’avait embouti dans un arbre qui traversait la route en dehors de clous. Une autre fois j’avais offert à une fille avec laquelle j’avais une petite aventure, un livre sur le suicide, moi je l’avais bien aimé le livre. Elle a trouvé que c’était de très mauvais goût et est parti pour un autre que moi, pour le coup j’ai failli la tuer. J’offre toujours les choses qu’il ne faut pas, des trucs de filles à des garçons et l’inverse. Résultat je ne fait plus de cadeau car au lieu de seller les liens avec les gens et de faire plaisir, je crois que c’est ça les buts d’un cadeau, cela me valait des bouderies & me faisait plus perdre que gagner des amis. C’est pour cette raison aussi que je ne reçois presque plus de cadeau de la part de mes rares amis puisque je ne leur offre rien en retour ils font de même, c’est ceux qui ne sont pas mes amis qui m’offre des cadeaux désormais. Je ne pensais pas que l’amitié était à se point un système marchand, je la voyais plutôt comme une système de partage pas d’échange. Cela me fit sourire je pris mon agenda et notai : « les vrais amis ne sont pas ceux avec lesquels on échange, mais ceux avec lesquels on partage ». A l’époque, j’aimais bien noté comme ça de grandes phrases qui ne me servent à rien, ça m’ai passé depuis.

Dehors la neige recommençait à tomber, j’aime bien quand la neige tombe la nuit on la voit danser sous les réverbères, on ne la voit que là ou il y un peu de lumière ailleurs elle est presque invisible cette poudre d’ange. Je n’avais rien à faire de particulier ce soir là, si je sortais du café je devrais soit marcher à l’improviste c'est à dire sans savoir où aller, soit rentré chez moi retrouver mes murs, ma fenêtre, mon fauteuil, ma télévision. Je décidais de rester encore un peu au chaud, de reboire quelque chose de chaud ainsi, à défaut d’un cœur chaud j’avais au moins le reste du corps à une température convenable voir confortable. Je bu mon second café plus lentement que je bu le premier. Le premier était pour me réchauffer, le second pour le savourer. Je continuais à regarder la vie passer dehors, derrière la vitre, comme on regarde la télévision. On découvre les personnages puis on s’imagine leur histoire. Le dame qui sort du magasin pour y retourner a sans doute oublié quelque chose, sa monnaie, son sac, une idée d’achat de dernière minute, elle a peut-être pensé : « Tout compte fait, je vais le prendre le truc, même si c’est un peu chère, ça fera plaisir à Nicolas ». Je ne savais pas pourquoi j’étais sûr qu’elle connaissait un Nicolas, de toute façon on connaît tous quelqu’un qui s’appelle Nicolas ou on en a rencontrer au moins un, une fois dans sa vie. Chacun à son propre Nicolas, comme chacun à son numéro de sécurité sociale, on ne s’en souvient jamais pourtant il existe. Je ne savais plus trop quoi faire, je n’avais pas vraiment envie de rentrer, pas vraiment envie de rester dans le bar. Je mettais trois semaines avant de me décider à sortir et une fois enfin dehors je n’arrivais plus à me décider à rentrer.

Finalement je suis sorti du bar, j’ai continué à marcher à l’aveuglette, tiens si je tournais là, tiens si je faisais demi tour. Parfois, je mettais mes mains sur mes oreilles pour ne plus entendre le bruit de la ville, des voitures qui passent, je me créais un silence artificiel. A bout d’une petite demi heure de parcours aléatoire, je suis rentrer dans un bureau de tabac pour me ravitailler en cigarettes, c’était la véritable raison de ma sorti, mes réserves s’amenuisaient. La buraliste commençait à me connaître je venais presque toutes les trois semaines acheter plusieurs cartouches, à chaque fois elle me lançait de drôles de regards. Je suis sûr qu’elle me suspectait d’un trafic un peu louche, en fait c’est elle qui a un trafic un peu louche pas moi. Il faut une autorisation pour vendre des cigarettes pas pour les fumer, c’est preuve qu’elle n’a pas la conscience tranquille, d’habitude on ne demande jamais la permission pour vendre, on demande la permission d’acheter. J’achetais également quelques revues, depuis que je ne faisais plus rien, je ne lisais que des mensuels, voir des bimensuels, comme ça j’avais moi à sortir de chez moi. J’aurais très bien pu m’abonner mais un abonnement, c’est un fil à la patte que l’on traîne, même si on ne veut plus lire le journal, on le reçoit quand même. Et on ne peut pas déménager tant que l’abonnement n’est pas terminé parce qu’ils profitent que vous changiez d’adresse pour ne plus vous envoyer, ils prétextent ne pas avoir reçu votre nouvelle adresse. De tout façon, moi je préférais aller chez le buraliste, cela me fait sortir de chez moi, et discuter avec quelqu’un : « Il est sorti le numéro du mois de décembre ? Pas encore, vous le recevrez quand, à peu près ? Mais début janvier ça ne sera pas le numéro du mois du décembre, à moins qu’il n’y ait qu’un numéro pour décembre-janvier. ». Certes ce n’étais pas très intéressant mais au point ou j’en étais un discussion quelle qu’elle soit est toujours une bonne discussion.

Je rejoignais la rue, qui commençait à se vider les gens rentraient chez eux, retrouvaient leur petite famille, ils allaient se raconter leur journée que je supposais passionnante,. Finalement être seul évite ce genre de corvée. Plus le temps passait plus je trouvais de bonnes raisons de rester seul, mais plus je trouvais ça pesant. C’était à peu de choses prés comme ça que se passait toutes mes sorties sauf que ce n’était pas à chaque fois Noël. Marcher un peu, aller boire un café, deux parfois, se promener encore, s’arrêter sur un banc quand le temps le permet, aller chercher des cigarettes et quelques revues. Bien sûr il y avait de temps en temps des variantes, comme passer à la poste pour répondre à une gentille lettre d’une fille qui disait ne pas m’oublier, elle ne l’a pas dit longtemps, aller chercher quelques choses à manger mais surtout de quoi faire du café et du thé, surtout ne pas oublier de prendre du sucre. D’autres fois allé acheter un disque, un livre dont j’avais entendu dire du bien à la radio. J’aimais écouter les critiques, cela me permettant d’éviter d’avoir à me faire un avis.

Une fois, lors de l’une de ces sorties, qui correspondaient pour moi à de grands événements, j’ai eu envie d’aller à la gare, comme ça, sans véritable raison, pour me souvenir des départs, des arrivées, pour me rappeler que j’avais beaucoup pris le train, que j’avais beaucoup attendu sur les quais que l’on vienne me chercher, mais jamais personne n’est venu, personne ne m’a aidé à porter mes sacs parfois trop lourds pour moi. Je prenais le train comme d’autres montent dans leur voiture, j’avais mes habitudes, arriver une demi heure à l’avance, prendre mon ticket, en demandant la réduction de moins vingt-cinq pour-cent, composter, acheter un journal, un paquet de cigarettes, aller sur le quai pour pouvoir fumer. L’ambiance des gares m’a toujours plu, cela m’avais presque mis de bonne humeur de retourner à la gare alors que cela faisait des mois que je n’y avais pas mis les pieds. Tout y était comme dans mon souvenir, les guichets avec toujours la même queue, les guichetiers avec le même sourire, les mêmes distributeurs automatiques de billets en panne, le marchant de journaux, les mêmes trains pour les mêmes destinations au mêmes quais, aux mêmes heures à une minute ou deux prés, il n’y avait que moi qui n’était plus le même. Je venais en visiteur, comme au Monopoli sur la case prison ‘Simple visite’, dans la partie, on n’y a séjourné, on sait que l’on y retournera, alors on prend le pouls, on observe. Je me suis assis sur un banc, j’ai maudit la SNCF d’interdire de fumer dans les gares, non seulement on passe parfois trois heures à attendre son train, sa correspondance mais en plus on ne peut pas fumer, alors qu’en plus le marchand de journaux vend des cigarettes, le droit d’acheter mais pas d’utiliser ou alors dehors. J’ai regardé les voyageurs, les usagers comme ils disent ici, je ne savais faire que ça observer, je ne prenais part à rien, incapable de vivre quelque chose, hors de tout, hors du temps, hors jeu. Je regardais les filles avec des sacs plus gros qu’elle, l’éternel clochard demandant quelques pièces pour sa villageoise, j’avais l’impression de l’avoir toujours vu là ce type.

Au bout d’un moment ma presque bonne humeur c’est transformé en mélancolie, en tristesse, tristesse de voir tout ces gens heureux de se retrouver, tristes de se séparer pour une journée, une semaine, un mois peut être, heureux de partir à l’idée que là bas à l’autre bout de la ligne quelqu’un les attend. Je me sentais mal de n’avoir rien à faire là, de n’avoir nulle part où aller, de n’avoir personne à quitter, à retrouver, à aller voir, de ne pouvoir que rentrer à la maison, dans mon univers d’agoraphobe. Je me sentais en colère contre moi même. J’avais envie de prendre un billet, m’échapper de ces lieux. En fait ne même pas prendre de billets, partir pour une destination inconnue, monter dans un train au hasard, dans l’illégalité, se cacher pour éviter le contrôleur, et s’il me trouvait descendre à la gare la plus proche. Arriver dans une ville sans nom, le découvrir sur les murs de la gare, découvrir la gare, toute sont uniques. Puis découvrir la ville, elle ne me serait pas plus inconnue et étrangère que celle ci. Marcher dans des rues dont j’ignorerais le nom qui me mènerais vers des monuments imposants dont j’ignorerais la fonction. Pourtant je ne m’aurais pas plus senti perdu qu’ici. Rien à faire ici ou ailleurs. Mais comme toujours le courage me manqua, je rentrais chez moi, les poings serrés dans les poches. La soirée qui suivit fut atroce , je n’avais plus goût à rien, plus de courage, même pour faire un café. Je ne savais pas quoi écouter, je changeais de disque à peine la première chanson commencée, et puis ne plus rien écouter. Se faire violence, j’avais envie d’envoyé tout balader, tout mettre à terre, tout jeter, fracasser, de crier, pas des mots juste des cris. Je voyais les murs comme des défouloirs, de possibles appuis contre de violents coups de tête. Puis je suis resté assis sur le fauteuil, avec juste la force de piocher toute les demis heures dans le paquet de cigarettes, en porter une à la bouche, attendre dix minutes avant de l’allumer et la fumer en deux minutes. Ce soir là j’ai dormis sur mon fauteuil et j’ai tout fait le lendemain pour ne pas penser, j’ai passé la journée au lit dans le silence, écoutant parfois la radio, pour croire que quelqu’un me parlait. Je priais pour, qu’au fond de mon lit, il m’arrive enfin quelque chose.

 

Sylvain Barraux